Les supports audiovisuels à l’épreuve du temps
Les disques mécaniques noirs, les bandes magnétiques et les disques optiques sont exposés à l’usure des ans. La BnF a donc conçu des programmes de recherche pour leur préservation,
en étudiant notamment leur vieillissement chimique. Entretien avec Xavier Sené, en charge de la conservation au département de l’Audiovisuel.
 
Quel est l’objectif des programmes de recherche sur les supports audiovisuels ?
Il est double : conserver ces collections le plus longtemps possible, et repérer celles qui sont susceptibles de se dégrader et de faire l’objet d’une numérisation de sauvegarde. Aujourd’hui, ce plan de sauvegarde concerne des documents dont on sait qu’ils se dégradent déjà, comme les bandes magnétiques (cassettes audio, cassettes vidéo) et ceux dont les appareils de lecture sont obsolètes, notamment les vidéodisques. La question qui nous préoccupe est : quels documents devrons-nous, demain, préserver en priorité ? Les supports optiques (CD, DVD, CDROM) ou les disques noirs ? Entre 2001 et 2006, nous avons étudié le vieillissement des supports optiques. Depuis 2007 et jusqu’en 2009, nous travaillons sur la composition des disques noirs (33 tours, 45 tours, 78 tours…).

Quels sont les supports les plus menacés ?
Ce sont tous les supports enregistrés. Nous savions que le CD-R (gravé) vieillit très vite et très mal. Mais il existait peu d’études sur les CD audio des années 1990, émanant d’éditeurs commerciaux. Or si les dégradations sont perceptibles dans les cassettes magnétiques, il en va autrement des CD et des DVD dont les appareils de lecture sont capables de corriger automatiquement les dégradations du signal… si bien que, tant que le CD n’a pas rendu l’âme, on n’a quasiment jamais l’impression qu’il est dégradé ! Il faut donc les soumettre à un analyseur qui repère les corrections de l’appareil de lecture et permet de connaître beaucoup plus finement l’état du support. La BnF en a acheté deux, pour les CD audio et les DVD.

En quoi ont consisté vos programmes de recherche 2001-2006 ?
Nous avons effectué des tests sur un même échantillon, à intervalles réguliers. Ainsi, a-t-on pu observer une réaction chimique entre les vernis de supports optiques à base de nitrate de cellulose et la couche métallique sous-jacente en argent. Ces tests de laboratoire, supervisés par Thi Phuong Nguyen, responsable des laboratoires de la BnF à Bussy-Saint- Georges, ont été appliqués à 8 000 CD audio, entrés par dépôt légal entre 1983 et 1989. Puis on a échantillonné un certain nombre de disques, pour vérifier s’il existait une corrélation entre ces éléments et dans quel pourcentage : 63 % des CD dégradés ont présenté une réaction positive au test d’identification de nitrate de cellulose dans les vernis.


Résultat des tests sur un disque
dégradé, obtenus à partir de l’analyseur.

Exemple d'un disque dégradé (« bronzé ») par la combinaison
argent-vernis nitrocellulosique.

Cartographie des erreurs sur la surface d'un CD audio dégradé.

Qu’en est-il du disque noir mécanique ?
Il faut différencier, parmi les disques mécaniques, les disques pressés, de ceux « à gravure directe ». Ces derniers, très fragiles et dégradés, seront sauvegardés d’urgence. Nous étudions aussi les disques pressés pour en connaître la longévité et agir avant que ne disparaisse le contenu de l’information. On pense souvent que ces disques noirs sont stables dans le temps, parce que bien conservés aujourd’hui. Mais il faut en acquérir la certitude scientifique.
La BnF conserve 650 000 disques noirs de toutes marques. Nous nous sommes limités aux disques Pathé, en grand nombre dans nos magasins, et sur lesquels existent des archives. La société Pathé nous a autorisés à explorer ses archives. Une vacataire de recherche se trouve chez Pathé, à Paris, pour des travaux archivistiques et bibliothéconomiques sur la période avant 1919.
Elle les poursuivra à Londres, chez EMI, pour la période postérieure à 1919. À partir des inventaires des matières premières et des comptes rendus de conseils d’administration, on dressera un tableau complet des matériaux entrant a priori dans la composition des disques. Puis on confrontera ces données à la réalité : notre laboratoire vérifiera les proportions des matières premières et soumettra les disques à des tests de vieillissement artificiel. Pour cela, nous ferons des prélèvements sur des disques en excédent ou des exemplaires provenant de Pathé et d’EMI.

Avez-vous rencontré des difficultés ?
Oui, les disques mécaniques fabriqués au début du XXe siècle ne sont pas normalisés comme le sont aujourd’hui les CD audio. Chaque pays, chaque fabricant pressait les disques selon sa méthode. Nos analyses dureront plus d’un an.
Peut-être davantage. Nous en profiterons pour élaborer une solution universelle de nettoyage des disques noirs.

Les fabricants n’assurent-ils pas en amont ce type d’études techniques ?
La préservation à long terme n’est pas le souci premier des éditeurs commerciaux, même si dans les années 1990,
ils ont abandonné les supports à base de nitrate de cellulose. La préoccupation de la BnF est différente. Il s’agit de permettre à tous la consultation des documents, aujourd’hui et dans les siècles à venir.
C’est la mission de toute institution patrimoniale.
Propos recueillis par Martine Cohen-Hadria