Dix ans déjà ! Côté publics
Paroles d'usager
  Le nouveau projet conçu à la fois pour moderniser la Bibliothèque nationale et faire partager le patrimoine à un nombre croissant d'utilisateurs, a suscité bien des débats avant sa concrétisation. Des études prospectives avaient, certes, permis de dessiner des tendances prévisibles et de fixer les orientations de l'offre : encore fallait-il passer l'épreuve de la réalité. La BnF devait indubitablement conquérir son public. Quelques témoignages.
  "La volonté généreuse de partage du savoir a rempli ses objectifs"

À Richelieu, la Bibliothèque était trop petite. Il y avait des queues insupportables pour avoir une place. Ce que nous croyions savoir de l'architecture du nouveau site nous déroutait. Utilisatrice de la Bibliothèque de recherche, je m'imaginais celle-ci située dans des sous-sols peu lumineux, mais la surprise a été plutôt bonne.
Pour moi, l'ouverture de ce bâtiment est très symbolique. Qu'un gouvernement décide de créer une nouvelle bibliothèque témoigne de l'importance qu'il accorde à la culture. La volonté généreuse de partage du savoir, qui était aussi à l'origine de ce projet, puisque le Haut-de-jardin était destiné au large public, a rempli ses objectifs. Certes, l'établissement est parisien, mais les réseaux de coopération mis en place avec la France entière lui permettent d'éviter l'écueil du parisianisme. Il faudrait que ce versant des activités de la BnF soit mieux connu.
Une fois les premières mésaventures liées aux difficultés de l'informatique surmontées,
qui nous ont mis dans une rage folle, l'offre de nouveaux services aidant, en particulier la possibilité de réserver place de lecture et documents à distance, nous avons pu constater que les progrès pour les lecteurs étaient immenses. Restent encore quelques points noirs : les restrictions de communication pour les livres anciens, dont les raisons ne sont pas toujours pour nous, lecteurs, d'une grande clarté, la difficulté de se rencontrer du fait de la séparation physique entre les disciplines, le manque de convivialité de certains espaces de détente...

Lise Andries, directeur de recherche au CNRS


"J'ai une certaine fierté d'y être pour quelque chose en tant que contribuable"

J'adore les projets architecturaux. Lorsque celui-ci a commencé à être évoqué,
je faisais des pronostics sur son devenir. La première surprise a été que la partie apparente du bâtiment soit prévue pour le stockage des livres alors que les lecteurs étaient mis sous le niveau de la grande esplanade. Mais, maintenant la bibliothèque est là comme une évidence. Là où n'existait aucun quartier on sentait bien qu'il fallait enjamber la Seine pour se relier à l'espace vert en face.
À l'époque de la construction, j'enseignais dans un lycée tout près, rue de Patay,
et j'allais prendre régulièrement des nouvelles de la construction. Pour moi, la grande vertu de ce nouveau projet était de favoriser le passage de l'élitisme aristocratique de Richelieu à une forme de démocratisation très soutenue. Les beaux matériaux,
le fait de marcher sur des tapis comme dans une cérémonie permanente témoignent d'un fort respect pour le "lecteur de base", "sans qualité". J'ai une certaine fierté d'y être pour quelque chose en tant que contribuable. On retrouve dans cette bibliothèque la modernité de Beaubourg et l'intimité des bibliothèques, dans les fichiers desquelles on peut trouver ce qu'on ne cherche pas. Même si je suis un infirme de la modernité informatique, j'y suis bien.
J'utilise aussi bien le Haut que le Rez-de-jardin. L'esthétique de cette bibliothèque est différente de celle de Richelieu : elle est très venteuse, aventureuse quand il fait froid ; elle offre un point de vue, unique à Paris, sur le fleuve qu'elle domine en un aplomb très ouvert, très éventré. Une passerelle la relie maintenant à l'autre rive de la Seine et l'inscrit ainsi à merveille dans ce paysage surdimensionné. Toutes sortes de rituels, de petits gestes, entourent le simple fait d'aller travailler à la Bibliothèque. Celui, par exemple, des rencontres, des discussions à la cafétéria, celui de la remise au vestiaire des valisettes en plastique transparent, qui induit un petit moment de dépouillement, celui de l'utilisation de la carte pour réserver une place. La possibilité d'accéder directement à des ouvrages sans être conditionné au fait de devoir en faire la demande est une libération pour l'esprit.
Cette bibliothèque est riche en émotions, en sensations. J'éprouve une profonde gratitude de pouvoir aussi bien y expérimenter les hasards de la trouvaille, que de simplement en faire le tour, d'y assister à des expositions et des conférences ou de voir le monde l'investir.

Daniel Picouly, écrivain


"Avec le temps, les visages de certains lecteurs me sont devenus familiers"

Je prépare un ouvrage qui sera édité en chinois à Taïwan, mon pays d'origine où la curiosité pour ce qui tourne autour de la lecture est immense. J'y raconte ma vie quotidienne à la Bibliothèque, que je fréquente depuis 2003. J'ai passé la BnF au crible des 21 points énumérés par Umberto Eco pour juger de la qualité d'une bibliothèque. Je ne lui ai trouvé aucun défaut. Elle offre de nombreux outils précieux pour le lecteur. Je n'apprécie pas vraiment l'architecture du lieu, mais je reconnais qu'il offre les conditions d'un grand confort. Une fois, je suis allée à la réserve des Livres rares consulter un ouvrage. C'était à la fois impressionnant et touchant de pouvoir approcher des trésors du passé. Au fil des ans passés dans cet établissement, je me suis attachée aux lecteurs assidus que je côtoie jour après jour, mois après mois, dans le silence monacal des salles de lecture. Cette proximité silencieuse est très touchante. Avec le temps, les visages de certains lecteurs me sont devenus familiers, même si on ne s'est jamais adressé un mot. Parmi les habitués, il existe aussi des lecteurs insolites, comme celui ressemblant à Samuel Beckett. Il émane de lui une grande solitude. Peut-être vient-il chercher ici un peu de chaleur humaine ? C'est ce genre de détail qui font d'une bibliothèque un lieu d'"humanité".

Jui-Luan Chiu, doctorante en littérature française et
traductrice en chinois de
Pascal Quignard et Marie Darrieussecq


"C'est dommage que ça n'ouvre pas tard le soir"

On ne peut pas faire la comparaison avec d'autres grandes bibliothèques, comme la BPI ou Sainte-Geneviève. Les conditions pour travailler sont tout à fait formidables. C'est calme, c'est grand, l'atmosphère se prête bien au travail, même dans les périodes d'examen où il y a beaucoup de monde, il y a une sorte de respect des autres. La proximité des chercheurs du Rez-dejardin est un avantage. L'ouverture du dimanche est aussi un point important pour moi, c'est dommage que ça n'ouvre pas plus tard le soir. On voit bien qu'il y a des étudiants qui n'utilisent pas beaucoup les collections. C'est vrai, qu'elles sont plus pointues, plus spécialisées que dans d'autres bibliothèques.
On n'y trouve pas toujours des documents de base dont on a besoin à la fac, mais on y trouve aussi des choses qu'on ne voit pas ailleurs, des recueils de sources, des archives de première main, pas mal de livres étrangers, aussi,
qui permettent d'élargir les pistes de recherche. Je me dis toujours que je ne profite pas assez des avantages de la BnF, par exemple des expositions. Quand je me décide c'est souvent trop tard. Par contre, je vais à quelques conférences qui sont souvent utiles pour mon travail. Je me souviens il y a quelques années avoir vu Jacques Derrida dans une conférence. C'était plein à craquer ; c'est un très bon souvenir.

Basile Fournier, étudiant en philosophie


"Il a fallu apprendre à apprivoiser la grande bibliothèque, à ruser avec elle"

J'ai travaillé pendant dix ans dans chacune des deux bibliothèques, celle de Richelieu et celle de Tolbiac. Il a fallu apprendre à apprivoiser la grande bibliothèque, à ruser avec elle. L'architecture du bâtiment est d'une certaine brutalité. Il faut comprendre qu'il ait pu y avoir quelques inquiétudes chez les chercheurs habitués à la civilité de Richelieu. Le côté épreuve physique imposé par les distances à parcourir,
les obstacles à franchir, est ce qui frappe au premier abord. Mais il est stimulant de mettre en place des stratégies de contournement ; cette bibliothèque se prête aux ruses des chercheurs. Beaucoup de choses y sont paradoxales. Quand on commence à savoir, premier paradoxe, que malgré le cloisonnement des salles par disciplines, le côté labyrinthique, on peut accéder à tout, cela stimule l'enquête.
On peut alors passer d'un lieu à un autre, d'un support à un autre.
Deuxième paradoxe : les contacts avec le personnel de la Bibliothèque sont plus nombreux et plus faciles qu'avant malgré le gigantisme du bâtiment, du fait du grand nombre de banques de salle où il est aisé de s'entretenir avec les conservateurs. La manière de travailler a un peu changé. La proximité avec les livres est beaucoup plus forte ;
les usuels en libre accès sont très nombreux et très pointus. L'architecture est brutale, mais l'ambiance est plus calme, plus concentrée qu'à Richelieu sur la recherche.
La nouvelle bibliothèque a vu se développer une nouvelle génération de chercheurs. Le rajeunissement est très net.
On considère qu'un tiers des chercheurs de Richelieu n'a pas suivi. Certains ont pu dire que cette bibliothèque était géronticide ; il est clair que les contraintes liées au bâtiment, les distances à parcourir, ont accentué cette tendance. C'est un lieu où il faut être en forme. On sent là une nouvelle communauté de travail, qui a engendré une accélération de nouvelles pratiques : l'enquête devient multiforme, l'interdisciplinarité presque obligatoire.
La multiplicité des supports de recherche, documents, usuels, catalogues informatisés, Internet, bibliothèque numérique, audiovisuel... favorise le nomadisme de la recherche au sens figuré comme au sens propre. La possibilité de réserver à l'avance ses documents de travail permet de se composer des menus de recherche et d'équilibrer sa journée en mêlant les disciplines et les formes. La recherche est aussi plus cosmopolite. On peut accéder à Internet sur place, aller sur des forums. On apprend à travailler avec le monde.

Antoine de Baecque, historien et critique de cinéma


"Le personnel me paraît compétent et sympa"

Je ne sais pas si mon avis est vraiment à prendre en compte. Je fréquente surtout la salle D, celle de l'économie et de la gestion. C'est souvent plein, parfois il y a des files d'attente un peu pénibles, mais au moins dans cette salle, la plupart des gens qui sont là sont motivés,
ils viennent vraiment pour travailler et ils ont besoin des documents. Ça permet aussi des rencontres avec des étudiants dans la même discipline, venant d'autres universités. On peut échanger. Les collections sont à jour dans le catalogue. C'est parfois un peu difficile à dénicher, mais on trouve très bien sur les étagères.
On travaille aussi beaucoup avec Internet et il y a beaucoup de postes. Le personnel me paraît compétent et sympa. Ce n'est plus les vieilles bibliothécaires qu'on nous décrivait à l'école. Quand j'ai besoin d'une pause, il m'arrive d'aller ailleurs, dans la salle de l'audiovisuel, par exemple ou dans la salle de la presse, pour flâner un peu ou écouter un disque. Pour moi, il n'y a pas de problème, il faudrait juste qu'ils baissent le prix du café !

Élodie Pellerin, étudiante en gestion


"Cet outil est précieux et dans l'ensemble efficace"

Je travaille presque quotidiennement depuis cinq ans à la BnF, principalement en Rez-de-jardin. Pour moi, les salles de lecture sont une coupure, un lieu propice à la rédaction, où l'on peut aussi, si besoin est, vérifier rapidement une référence après consultation du catalogue informatisé. J'avais connu l'ancienne bibliothèque Richelieu, mais lorsque le projet a été lancé, j'étais en Italie. De retour en 98, j'ai fréquenté le nouveau site, déçu de quitter un quartier animé au profit d'une zone, où il n'y avait pas grand-chose. L'investissement des pouvoirs publics pour doter le pays d'un instrument moderne de conservation, de culture et de recherche a été considérable. Cet outil est précieux et dans l'ensemble efficace.
Le nombre de places de lecture a considérablement augmenté et on a gagné en confort de travail. Le catalogue informatisé est un outil remarquable qui permet une recherche rapide et les temps d'attente ont diminué. Les postes multimédia sont pratiques et le partenariat avec l'INA très intéressant.
La bibliothèque en tant qu'édifice est, par contre, très décevante. Il me semble que nous avons perdu dans les grandes salles de lecture le côté intimiste et le sentiment d'appartenance à une communauté de chercheurs, qui était vif dans l'ancienne salle Labrouste. Ce double sentiment se retrouve, par exemple, à l'intérieur de la très belle bibliothèque nationale de Berlin dessinée par Hans Scharoun : de petites niches, d'où l'on peut percevoir l'ensemble des chercheurs, créent des lieux d'intimité dans un espace commun. Enfin, l'aspect le plus négatif est pour moi celui de la convivialité : les espaces de détente, la cafétéria sous-dimensionnée ne sont pas à la hauteur de l'investissement global. Les machines à café sont les plus chères de Paris ! Et comme beaucoup, je regrette que le jardin ne soit pas ouvert...

Emmanuel Huertas, docteur en histoire,
ATER (attaché temporaire en recherche universitaire) à l'université Rennes 2



Le courrier des lecteurs de Gallica

La boîte aux lettres Gallica@bnf.fr reçoit en moyenne 200 courriers par mois. 60 % des messages concernent des questions techniques sur l'accessibilité aux documents ou sur le signalement de pages manquantes ou défectueuses ; 40 % portent sur le contenu et vont des questions "sérieuses" comme l'assistance à la recherche bibliographique à des demandes d'aide beaucoup plus "fantaisistes" : tel ce jeune collégien demandant le vendredi pour le lundi une biographie de Voltaire et un résumé de Zadig ; ou cette dame d'âge respectable qui veut retrouver à partir de deux vers inscrits dans sa mémoire le poème auquel ils appartiennent et dont elle a oublié et le titre et l'auteur... Imperturbable et toujours courtois, le webmaster Pierre-Emmanuel Judas répond le mieux possible pour ne froisser personne !
Quelques messages qu'on a plaisir à recevoir du monde entier :

"Je navigue depuis quelques heures dans votre Voyage en Italie et je dois dire que c'est un enchantement... Excusez-moi, j'y retourne."

"Aujourd'hui, je peux lire les auteurs rares du XVIIIe siècle dans mon salon, c'est presque de la
science-fiction !"

"Merci Gallica, merci Bibliothèque nationale de France! Allez-y, continuez d'ouvrir vos rayons et vos salles de lecture aux yeux du monde entier. Mettez tout à la portée de tous !"

"Excusez mon français un peu barbare :
Merci beaucoup vous dit
Un jeune garçon qui lit
Des vôtres, chacun livre
Présent, passé, à suivre
Numérisé déjà
Ou tout qui le sera,
Vous êtes, le savez,
Très grands et pardonnez
[les fautes de langage]
Car jeune est mon âge
Et pour la bonne raison
De ma étrangère nation."