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L’achat en 1995 par la BnF d’un fonds d’archives exceptionnel à Henri Jadoux, qui fut
le secrétaire,
le collaborateur et l’exécuteur testamentaire de Sacha Guitry, permet une formidable
exploration de la personnalité et de l’œuvre de cet esprit curieux au talent multiforme. Celle-ci
s’incarne dans une exposition coproduite avec la Cinémathèque française.
Entretien avec
Noëlle Giret, conservateur au département des Arts du spectacle, co-commissaire de l’exposition
avec Noël Herpe et initiatrice des manifestations qui l’accompagnent.
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Chroniques : Quelle importance le
fonds Guitry revêt-il à vos yeux ?
Quelle en est l’ampleur ?
Noëlle Giret : Henri Jadoux a gardé
jalousement les collections de Sacha
Guitry et s’il n’a pu sauver des peintures
de Monet, Vuillard ou Toulouse-Lautrec ou le diadème de Sarah Bernhardt, qui
se sont trouvés dispersés dans des collections
privées et sont aujourd’hui parfois
introuvables, il a pu sauver un grand
nombre de documents très précieux.
La
BnF se retrouve aujourd’hui à la tête
d’environ 700 boîtes d’archives qui renferment
des collections d’autographes,
des manuscrits, des correspondances personnelles
ou liées au travail de création de
Guitry, des dessins, des partitions musicales,
des photographies. Tous ces documents
reflètent la richesse du milieu dans
lequel est né et a grandi Guitry, celui du
« gratin » littéraire et politique de l’époque,
où figuraient aussi bien Rodin et Monet,
qu’Anatole France, Alphonse Allais,
Octave Mirbeau ou Tristan Bernard, son
parrain, tous amis de Lucien, son père,
LE grand comédien, équivalent masculin
de Sarah Bernhardt, autour duquel se
réunissaient volontiers tous ces personnages
illustres.
Que vous a apporté l’exploration de
ces archives ?
Elles nous ont fourni une belle matière à
exposition. Nous avons cherché à rendre
à Sacha Guitry une certaine épaisseur et
montrer, en sortant des sentiers battus,
un personnage un peu différent de la
légende qu’il a lui-même contribué à
créer. La puissance de l’archive fait transparaître
les facettes multiples du personnage:
provocateur, farfelu, anarchisant,
doué pour la critique sociale, bourreau
de travail mais refusant de jamais montrer
l’effort, novateur et très doué aussi bien
dans le domaine de la photo que de l’écrit,
du journalisme, de la publicité (il est l’inventeur
du fameux slogan publicitaire
pour le cacao Elesca « LSK, CSKI »), du
cinéma.
Comme Cocteau, dont il était
l’ami, il possédait des dons multiples qui
lui permettaient d’être présent à toutes les étapes de son travail : s’il s’agissait d’un
livre, il déployait ses talents de démiurge,
d’un bout à l’autre de la chaîne de fabrication,
de l’écriture à la maquette ; s’il
s’agissait de cinéma, il préparait le tournage
dans ses moindres détails, donnant
ensuite une impression d’évidente facilité.
Le bonheur de vivre, l’élégance, ce
côté champagne parfois enfantin de Guitry,
son amour des femmes (il en a épousé
cinq, toutes comédiennes), mais aussi
sa générosité déployée dans des œuvres
ou des galas de charité pour les artistes,
explosent à travers les matériaux conservés
dans ses archives, qui aideront certainement
beaucoup les chercheurs à
connaître non seulement cet artiste, mais
aussi son époque.
Bénéficiant de l’ouverture
des dossiers des archives nationales,
complétées par les propres papiers
de Guitry,
nous n’avons pas fait l’impasse
sur les accusations de collaboration
dont il a fait l’objet après guerre et dont
il a d’ailleurs été lavé ensuite. Son rapport
à l’histoire, qu’il considérait comme
un grand théâtre, a pu fausser son jugement.
Cet apolitisme lui fut vivement
reproché par son parrain Tristan Bernard,
ainsi qu’en témoigne une correspondance
conservée dans le fonds.
Une soirée d’hommage est prévue le
lundi 26 novembre. Quel en est le
contenu ?
Nous avons choisi le spectacle vivant
pour faire goûter au public la diversité
d’inspiration de Guitry. En début de soirée
est programmée une pièce en un acte,
Un soir quand on est seul. Mise en espace
par Denis Podalydès, de la Comédie-
Française, qui adore Guitry, avec la participation
cinématographique de Jean-
Paul Fargier, cette pièce est un condensé
d’autoanalyse, bien caractéristique de
l’absence de frontière que mettait Guitry
entre vie publique et vie privée. L’argument
: un homme, pour savourer le
grand bonheur d’être un peu seul, envoie
sa femme se coucher et s’enferme, mais
il est ensuite tiraillé entre sa conscience,
sa mémoire, sa volonté et sa fantaisie
incarnées par quatre comédiennes.
La deuxième partie de la soirée reflétera
la place importante que tint la musique
dans la création de Sacha Guitry,
tout
particulièrement à l’époque de son mariage
avec Yvonne Printemps.
En janvier, une autre soirée sera consacrée
à Guitry écrivain.
Propos recueillis
par Marie-Noële Darmois |
SACHA GUITRY,
UNE VIE D’ARTISTE
Du 17 octobre 2007
au 18 février 2008
Cinémathèque française
Commissariat : Noëlle Giret,
conservateur au département
des Arts du spectacle (BnF),
et Noël Herpe, maître
de conférences à
l’université de Caen.
Soirée
26 novembre 2007
Un soir quand on est seul,
pièce en un acte de Sacha
Guitry, mise en espace
par Denis Podalydès de la Comédie-Française
avec la participation
cinématographique de
Jean-Paul Fargier. Suivie
d’un florilège musical.
Site François-Mitterrand
Grand Auditorium - 20h
Entrée libre |
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