Tendances de la photographie d’aujourd’hui
Depuis bientôt dix ans, la bourse du Talent décernée à de jeunes photographes leur offre à la fois une reconnaissance de la profession et un espace d’exposition : un tremplin pour se lancer.
La BnF expose les travaux des lauréats de l’année 2007.
Montanso à la conquête de l'or blanc en Inde
Viviane Dalles, Monsanto à la conquête de l’or blanc en Inde, 2002 © Viviane Dalles
S’il existe de nombreux prix consacrant le travail de photographes reconnus, il en est peu qui privilégient la découverte et la promotion de jeunes talents. C’est pourtant ce pari de révéler et de faire connaître des regards nouveaux que tient depuis presque dix ans la bourse du Talent.
Ce prix est le fruit de l’action menée par un groupe de professionnels pour encourager la création photographique. Il est organisé par Photographie.com avec ses partenaires : les laboratoires Picto, Kodak Professionnel et Prophot.
Trois lauréats chaque année, autour de trois thèmes : le reportage, le portrait et le paysage. Parmi cent à cent cinquante dossiers, le jury, composé d’un photographe, d’un journaliste, d’un éditeur et d’un institutionnel, sélectionne un petit nombre de travaux, puis le lauréat final. Des photographes comme Marion Poussier, dont le regard sur l’adolescence ne s’oublie pas, ou encore Grégoire Eloy ont figuré parmi les primés de ces dernières années ; ils sont aujourd’hui considérés comme des artistes de premier plan.

Montanso à la conquête de l'or blanc en Inde Montanso à la conquête de l'or blanc en Inde
Viviane Dalles, Monsanto à la conquête de l’or blanc en Inde, 2002 © Viviane Dalles

L’exposition de la BnF présente les images des lauréats 2007. Viviane Dalles a été choisie pour son reportage « Monsanto à la conquête de l’or blanc ». Ce travail, réalisé au cours de deux voyages de trois mois, montre les effets désastreux de l’introduction de semences OGM dans la culture du coton en Inde. La photographe s’est faite journaliste pour dénoncer, à travers des images belles et poignantes, le scandale de vies dévastées. C’est l’histoire d’une catastrophe programmée. Elle commence en 2002, lorsque la firme agro-industrielle américaine Monsanto fut autorisée par le gouvernement indien à s’implanter dans le pays. Troisième producteur mondial de coton, l’Inde espérait accroître sa production face à ses deux principaux rivaux, les États-Unis et la Chine. Plusieurs années de mauvaises récoltes rendaient le contexte sensible, les agriculteurs du coton étant pour la plupart en difficulté et endettés.
La firme Monsanto, associée au semencier indien Mahyco, fit donc la promotion d’une semence, le BT, génétiquement modifié pour résister à certains insectes de la famille des lépidoptères, ce qui évite l’emploi de pesticides. Dans le Warangal, au cœur de la région cotonnière de l’Andhra Pradesh, 90% des agriculteurs, séduits par les publicités alléchantes promettant des récoltes miraculeuses, acceptèrent de planter des graines hybrides.
Mais le coton BT n’avait pas été développé dans les conditions réelles du système écologique de la région. Les insectes prédateurs et les conditions climatiques ont vite mis en danger les récoltes, entraînant des coûts supplémentaires, un endettement aggravé et causant la ruine, parfois le suicide, de nombre d’agriculteurs. Les images de Viviane Dalles témoignent avec force des effets de cette biotechnologie non maîtrisée sur les hommes, le bétail, la terre. Elles captent avec sensibilité et empathie l’angoisse et la détresse engendrées par cette situation. L’Inde, sujet de prédilection de la photographe, est perçue dans sa complexité, entre archaïsmes et modernité.

Frédérique Jouval
À partir du thème du portrait, Frédérique Jouval, elle, s’est intéressée à la polygamie en Afrique. Cette coutume ancestrale reste profondément ancrée dans certaines cultures africaines. Elle n’est plus tolérée en France depuis la loi Pasqua de 1993 interdisant le regroupement familial. Les photographies présentées sont des porphototraits de femmes, d’hommes, d’enfants, des vues d’intérieurs maliens, d’objets domestiques. Les visages expriment souvent le désarroi, la souffrance, causés par des situations subies plutôt que choisies, par les femmes mais aussi par les hommes contraints de respecter la volonté des pères.
« Après avoir commencé mon travail en France, explique Frédérique Jouval,
j’ai décidé de me rendre au Mali afin de mieux comprendre la réalité et les conséquences de la polygamie. À chaque portrait s’associe une histoire personnelle, heureuse ou douloureuse. En France et au Mali, je suis allée à la rencontre de familles polygames en tentant de repérer les différentes questions posées : difficultés économiques, déni d’enfants, contamination par le virus du sida, asservissement à l’autorité parentale. Au-delà de ces problématiques, j’ai aussi vécu près de familles perpétuant naturellement et sans conflit une véritable tradition culturelle
. »
Ce reportage s’inscrit dans la lignée des travaux de la photographe, qui, depuis 1994, utilise son objectif pour approcher des réalités humaines ou sociales « en marge » : la relation amoureuse chez les trisomiques, les jeunes femmes maghrébines déchirées par leur double culture, l’avortement hors délai légal.
Les images de ces jeunes artistes, aux antipodes d’une photographie narcissique ou marchande, s’inscrivent dans une démarche exigeante et engagée. Elles sont aussi simplement belles.
Sylvie Lisiecki


JEUNES PHOTOGRAPHES LAURÉATS DE LA BOURSE DU TALENT PICTO

18 décembre 2007 - 27 janvier 2008
Site François-Mitterrand / Allée Julien-Cain
Avec le soutien de Champagne Louis Roederer