Le rouge opéra de Christian Lacroix
Multiples sont les significations du rouge : le rouge de la Rome impériale, celui de la Révolution française, le rouge de l'orgueil, de la colère ou du sang... Christian Lacroix en célèbre la quintessence dans une exposition à la bibliothèque-musée de l'Opéra, qui présente 70 costumes de scène portant sa griffe.
Chroniques : Pourquoi avoir choisi la bibliothèque-musée de l'Opéra pour votre exposition Rouge, des costumes de scènes...?

Portrait de Christian Lacroix, nouvelle fenêtre
Christian Lacroix : J'ai "commis" mes premiers costumes de ballet au Palais Garnier en 1986 et 1987. J'avais auparavant collaboré à un Cendrillon pour les enfants, à l'Opéra-Comique,
et j'avais noué une longue amitié avec Philippe Binot, alors responsable des ateliers costumes. Grâce à lui, j'ai pu rencontrer le directeur de la bibliothèque-musée de l'Opéra, Pierre Vidal. Et chaque fois que je revenais dans la grande maison (pour Joyaux puis Shéhérazade) et que nous nous croisions, nous évoquions comme un jeu une éventuelle exposition... jusqu'à ce que nous nous rendions compte que pour chacune de ces productions, et même ailleurs, j'avais toujours dessiné au moins une maquette en rouge,
ma couleur favorite , celle-là même qui est devenue l'emblème de ma maison de couture.

Au début, je trouvais le projet prétentieux. Mais Pierre Vidal a été fidèle, tenace et très convaincant. Est-il besoin de dire, enfin, la fascination qu'opère sur moi depuis l'enfance l'Opéra de Paris, son architecture, ses spectacles et ses ateliers, sa bibliothèque ?

Ch. : Quel est précisément l'intérêt, pour le créateur de mode que vous êtes, des costumes de scène et des maquettes de décor ?

Maquette d'une guêpière, nouvelle fenêtre
C. L. : Enfant, je ne pensais pas à la mode mais au spectacle. Adolescent, j'en avais fait mon projet de carrière : dessiner pour les films de Visconti, le théâtre, l'opéra...
J'ai même songé à suivre les cours de la rue Blanche.
Je dessinais, au retour de spectacles qui m'avaient moyennement convaincu, ma propre production. Puis les méandres de la vie m'ont joué des tours et des détours et, de futur costumier, je me suis retrouvé futur conservateur à la Sorbonne et à l'École du Louvre pour finir couturier. Mais pratiquement dès mes premières collections, Jean-Luc Tardieu avait bien saisi, en quelques images de mon travail entrevues à la télévision, ce que mes collections avaient de théâtral. Il m'a proposé de dessiner les costumes de son Chanteclerc à Nantes,
au milieu des années 80. Puis il y a eu la danse, de Zoopsie Comedy (Biennale de Lyon 1985 ou 1986) à Karol Armitage à l'Opéra, en passant par Barychnikov au Met ! Mes rêves d'enfant m'avaient rattrapé.

Le travail pour la scène est pour moi un exutoire à toutes les fantasmagories dont la mode n'a que faire – même si,
selon moi, le vêtement reste un outil de mise en scène quotidienne, un élément de parure un peu rituelle du "paraître".

Ch. : Soixante-dix costumes et maquettes de théâtre seront présentés dans l'exposition. Quel sens avez-vous souhaité donner à la scénographie ?

C. L. : "Un bain de rouge" ! Il ne s'agit pas de retracer l'histoire du rouge, ni celle de l'Opéra, ni celle de tel ou tel décorateur, mais de donner à voir l'opulence, la quintessence du rouge, acteur à part entière depuis toujours. Il est la couleur pour certains. En Russe, un même mot désigne la beauté et la couleur rouge. Il est l'Opéra. Nous allons donc faire se rencontrer personnages, époques et productions dans les vitrines transformées en petits théâtres et dans les salles constellées de maquettes, aussi.

La cour des miracles, nouvelle fenêtre
Ch. : Qu'est-ce qui a guidé le choix des pièces ?

C. L. : Les coups de coeur. Ce qui me faisait rougir d'aise, de plaisir, d'émotion dans les archives qui m'ont été si généreusement ouvertes, tant à Garnier qu'à Berthier ou à la BnF et au Théâtre Français.

Ch. : Quelles sont vos dernières créations où le rouge intervient ?

C. L. : ll y aura certainement au moins un vêtement rouge dans la prochaine collection de haute couture, et je viens de faire les costumes pour La Femme sans ombre, de Richard Strauss, au théâtre de la Monnaie à Bruxelles... avec son "faucon rouge", bien sûr.
Je travaille enfin sur le prochain concept des salles Gaumont, dont le rouge fait partie de la charte. Et j'ai même fait ajouter un ton de rouge à la "bible" des couleurs d'Emilio Pucci,
pour qui je travaille en Italie.

Propos recueillis par Florence Groshens


Rouge (des costumes de scène [XVIIIe - XXIe siècle] vus par Christian Lacroix)
Du 25 octobre 2005 au 15 janvier 2006
Bibliothèque-musée de l’Opéra
Tarif : 7 €; tarif réduit : 4 €
Directeur artistique : Christian Lacroix
Commissaires : Pierre Vidal, Mathias Auclair