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Une exposition de la BnF met en lumière la démarche de photographes qui ont choisi d'utiliser leur objectif au service
d'un regard engagé sur le monde.
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"Toute photographie est un certificat de
présence", écrivait Roland Barthes(1).
Elle peut aussi être un acte. Les photographes
reporters, réunis à l'occasion de
l'exposition présentée à la BnF, réaffirment
la valeur de témoignage du geste
photographique et son pouvoir sur les
consciences, en marge du photojournalisme
commercial et prédateur qui inonde
les médias. Leur point commun : un
regard engagé et une démarche exigeante,
enracinés dans la tradition du reportage esthéphotographique
portée par les créateurs
de l'agence Magnum en 1947, et de ces
capteurs d'images qui, d'Henri Cartier
Bresson à Raymond Depardon – présent
dans l'exposition avec cinq images du
Chili de la période Allende –, se sont
entêtés à vouloir saisir la réalité en flagrant
délit. Cette photographie-là perdure
aujourd'hui à travers le travail de ceux
qui se veulent les témoins de l'actualité
mais aussi des problèmes de société en
France comme dans le monde. Dans la filiation des concerned photographers d'hier, ils s'attachent à dénoncer la barbarie
des guerres comme l'horreur et
la détresse ordinaires. Ou encore les
menaces qui pèsent sur la planète : ainsi
Guillaume Herbault avec Retour sur
Tchernobyl, et le jeune collectif Argos, à
travers ses reportages sur les réfugiés des
désastres climatiques.

Grozny, ville rayée de la carte.
Tchéchénie,
février 2000 © Éric Bouvet |
La photographie contre l'indifférence
L'exposition réunit le travail d'une dizaine
de photographes qui, tous, de reportage
en reportage, suivent leur propre cheminement,
né d'une rencontre entre un
pays, un moment historique et un sentiment
d'urgence, parfois de révolte. Qu'il
s'agisse de la guerre, des droits de
l'homme, de la pauvreté, de la condition
de la femme, de l'enfance, chacun d'entre
eux utilise l'objectif comme une arme de
dénonciation. "Leur projet : faire parler les
images pour que nous ne vivions pas dans
un monde sans voix, explique Alain Mingam(2), commissaire de l'exposition. D'une
part, ils sont à la fois témoins et auteurs ; ils
portent témoignage par la force de leurs
images,font la guerre à l'indifférence,dénoncent
l'insupportable. D'autre part, ils utilisent
l'esthétique comme un moyen, non comme
une fin : plus l'image est forte, mieux le propos
est défendu." Une fois l'actualité passée
et consommée, les images demeurent
parce qu'elles reposent sur la force esthétique qu'elles contiennent. Les démarches
passent le plus souvent par une véritable
plongée dans un pays ou une réalité.
Christophe Calais, comme Patrick Bard sur la frontière du Mexique et des États-
Unis, poursuit depuis dix ans un travail
sur le Rwanda. La photographie devient
ici un instrument pour, inlassablement,
tenter de démêler l'écheveau des bourreaux
et des victimes. Olivier Jobard a
suivi pendant six mois le périple de trente-quatre
candidats africains à l'immigration,
partis pour un Eldorado qui s'est
vite révélé un enfer. À l'opposé du traitement
people des questions humanitaires
par bien des grands organes de presse,
ces images qui disent la détresse, le dénuement,
expriment une solidarité authentique,
comme celle que manifeste Marie
Dorigny envers les femmes du Kashmir
et d'Afghanistan.

Hall de l’immeuble Presov, Cité des 4000. La Courneuve, France. 2002 © J.-G. Barthélemy |
Pour un journalisme éthique
On pourra voir aussi dans l'exposition des
clichés du mur en cours de construction
en Israël depuis 2004. Deux photographes,
Alain Keler, Français, et Alfred
Yaghobzadeh, Iranien, ont conjugué leurs
regards : documentaire pour l'un, dans la
filiation d'un Eugène Atget, étonnamment
plasticien et poétique pour l'autre.
Neuf allers-retours Bagdad, c'est le titre du
reportage de Jérôme Sessini sur la guerre
d'Irak, de mars 2003 à février 2005. Laurent
Van der Stock et Benoît Schaeffer ont vu, comme lui, la guerre sur le front.
L'éthique, c'est aussi, pour les reporters
de guerre, regarder des deux côtés du conflit, refuser l'embrigadement. Les
reportages de Lizzie Sadin ne sont pas les
moins dérangeants. Ses sujets ? Femmes
victimes de violences conjugales en
France, enfants du bagne en Russie,
mariages précoces de petites filles en
Éthiopie... "Il s'agit pour moi de lever le
voile posé sur ces sujets tabous et de porter
sur ces femmes,ces enfants un regard témoin,
sans voyeurisme. De combattre le silence dans
lequel ils se trouvent pour que, sortis de
l'ombre, ils existent et sortent de leur isolement".
Le reportage photographique s'est
banalisé avec la multiplication des conflits
diffusés en temps réel à la télévision, et
le public s'est habitué à la violence des
images. Les conditions d'exercice du
métier de photographe sont elles-mêmes
devenues de plus en plus difficiles. Le
risque est alors d'accepter la logique du
marché, de renoncer à cette éthique de
l'engagement, et de perdre son âme. "Le
sens de cette exposition est aussi d'ouvrir une
fenêtre sur ces démarches citoyennes et de permettre
une reconnaissance de la qualité de
leur travail d'écriture, quel que soit leur objet,
sociétal, écologique ou de défense des droits
de l'homme", conclut Alain Mingam.
1 La Chambre claire (1980).
2 Alain Mingam, ex-grand reporter-rédacteur en
chef des agences Gamma et Sygma, est consultant
Médias et membre du prix Bayeux-Calvados des
correspondants de guerre et de RSF.
La photographie engagée
Du 3 mai au 12 juin 2006
Site François-Mitterrand, Allée Julien-Cain.
Entrée libre
Commissaire : Alain Mingam |
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