Page 9 - BnF- CHRONIQUES 62_a

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Ci-dessus
Karl Laske
Ci-dessous
Procès de l’affaire
Clearstream, Paris,
22 septembre 2009,
crayon et aquarelle
Le nouveau
journalisme d’investigation
Journaliste spécialisé dans les affaires judiciaires, au service société de
Libération
durant dix-sept ans,
Karl Laske travaille désormais pour
Mediapart
. Il est aussi l’auteur de livres d’enquête, notamment
Machinations
,
publié chez Denoël, consacré à l’affaire Clearstream. Il participera à l’après-midi d’étude prévue le 14 juin.
Vous dites chercher à «déjouer
les frontières du secret ».
Est-ce le ressort du journalisme
d’investigation?
Karl Laske :
L’investigation est un
fondement du journalisme : chacun
dans le métier la pratique plus ou
moins, ce qui rend diff icile de la
circons­crire étroitement. Mais le fait
de s’attaquer au secret est une bonne
déf init ion : un point commun.
­
Mediapart
s’est dédié à cela, en inscri-
vant le journalisme d’enquête dans
l’ADN du site, au-delà de son champ
« traditionnel », celui qu’on appelle les
affaires politico-judiciaires.
Mediapart
est l’un des seuls
journaux à pratiquer encore
un journalisme d’investigation,
qui n’a plus vraiment cours en
France. Que penser de ce constat?
K.L. :
Il y a des périodes dans l’his-
toire de la presse qui ont été plus ou
moins propices à l’enquête. La situa-
tion de crise économique, qui se
double d’une crise de l’indépendance
des grands médias, n’est pas propice.
On a donc des journaux qui se désen-
gagent du terrain de l’enquête, par
manque de détermination, ou sim-
plement à cause de leur désorgani­
sation. Pour
Libération
ou
Le Monde
,
la crise a signifié le départ de cen-
taines de journalistes et le boulever-
sement de ce qu’on appelle le collec-
tif de travail. Mais elle s’est aussi
traduite par une perte de leur droit
de regard sur les choix stratégiques
pour les équipes. M. Rothschild à
Libération
, et MM. Bergé, Niel et
Pigasse au
Monde
ont eu très curieu-
sement les mêmes exigences de ce
point de vue-là : écarter les équipes
de la gouvernance. Dans ce contexte,
le fait que les aides de l’État occupent
une par t croissante du chi f f re
d’­affaires des journaux est probléma-
tique. Le gouvernement acquiert
ainsi un poids, invisible mais bien
réel, dans l’avenir des journaux qu’ils
aident. Certains ministres osent en
jouer ouvertement. Tout ce qui rap-
proche les journaux du pouvoir les
éloigne de l’enquête.
La liberté offerte par Internet
autorise-t-elle à penser
un renouveau du journalisme
d’investigation?
K.L. :
Le principal, c’est l’indépen-
dance. Le modèle payant de ­
Mediapart
est là aussi pour garantir cela. Par
­ailleurs, à la différence des grands
médias de presse écrite, les journaux
en ligne bénéficient d’une structure
plus légère, d’une organisat ion
plus souple, qui permet de gagner
en f luidité et en rapidité. Dans le
­fonctionnement de
Libération
ou du
Monde
, la programmation d’un sujet
passe constamment par de multiples
réunions et des arbitrages hiérar-
chiques. À
Mediapart
, il y a une seule
conférence de rédaction, et un seul
niveau hiérarchique, ça rend le site
plus nerveux par sa capacité à publier
très vite. Mais la liberté dont vous par-
lez, c’est aussi la capacité de propaga-
tion des nouvelles sur Internet.
­
Mediapart
a déjà 60000 abonnés, mais
c’est un grain de sable face aux grands
médias télévisuels et radiophoniques.
C’est pourquoi le micro-blogging et la
diffu­sion de l’information par de nou-
veaux canaux, comme WikiLeaks,
sont des vecteurs précieux. Et leur
développement peut nous être favo-
rable, pour offrir une contre-informa-
tion et un contre-agenda à base
d’­enquêtes indépendantes.
Propos recueillis par Cédric Enjalbert
Les journaux en ligne bénéficient
d’une structure plus légère […], qui permet
de gagner en fluidité et en rapidité.
© Marc Chaumeil.
Collection particulière © Benoît Peyrucq.
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