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Chroniques de la BnF – n°64 –
19
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Chroniques
: Le premier
numéro d’
Art Press
est
sorti en décembre 1972 : en quoi
cette date était-elle propice
à l’émergence d’une telle revue ?
Catherine Millet
:
Jusqu’alors, la
presse consacrée à l’art contemporain
était quasiment inexistante en France.
Nous avons été quelques-uns à avoir
envie de combler ce manque au
moment où nous sentions que quelque
chose était en train de bouger sur la
scène artistique française. Mais, plus
concrètement, la revue
est née de la
rencontre de trois personnes issues
d’univers distincts : un collection-
neur, un galeriste et une critique
d’art. Soit Hubert Goldet, Daniel
Templon et moi-même.
Quelle était alors la ligne
éditoriale de votre revue ?
C.M. :
Art Press
a commencé avec un
parti pris très fort à une époque où
Mai-68 était encore dans tous les
esprits. Il s’agissait de s’engager en
faveur de mouvements artistiques
dont on ne parlait pas. Dès sa créa-
tion, la revue a ainsi défendu l’art
conceptuel en publiant notamment un
texte aussi fondamental qu’
Art after
Philosophy
de Joseph Kosuth. Ou
encore Support/Surface, un groupe de
peintres et sculpteurs français, héri-
tiers de l’abstraction radicale. Outre
les arts plastiques, nous nous sommes
également toujours intéressés à la
littérature et au spectacle vivant.
Diriez-vous qu
’Art Press
est toujours aussi engagé ?
C. M. :
Le marxisme et le post-
structuralisme de nos débuts étaient
propices aux joutes théoriques. Et,
malgré la fin des idéologies, l’esprit de
polémique anime encore régulière-
ment la rédaction. En 1995, nous nous
sommes élevés contre l’instrumenta-
lisation par l’extrême droite d’une
Art Press,
40 ans
d’indépendance
La revue d’art contemporain
Art Press
fête
ses 40 ans : l’âge des bilans. Catherine Millet,
co-fondatrice et directrice de la publication,
examine pour nous les secrets de cette longévité.
campagne virulente contre l’art
contemporain, menée par Jean Bau-
drillard et Jean Clair. Et, en 2008, la
revue a clairement pris parti en faveur
de Georges Didi-Huberman dans sa
controverse avec Claude Lanzmann
au sujet de la « représentabilité » par
l’image d’Auschwitz.
Quarante ans après la création
de votre revue, qu’est-ce qui vous
rend le plus fière?
C.M. :
D’abord, son rôle de prescrip-
teur. En effet, nous avons sans doute
publié les tout premiers textes sur des
artistes français aujourd’hui aussi
reconnus que Claude Lévêque, Jean-
Marc Bustamante ou Xavier Veilhan.
De même, les premiers articles en
français sur des artistes étrangers de
l’envergure de William Kentridge ou
Maur i zio Cat telan. Mais avec
50000 euros de budget, neuf salariés
dont 2 à mi-temps, et un tirage men-
suel de 37 000 exemplaires, notre
structure reste de taille modeste. Aussi
je suis heureuse qu’
Art Press
ait su pré-
server son indépendance financière :
Ci-dessus
Catherine Millet,
2012.
Ci-contre
Art Press 391
Couverture
du numéro de
juillet-août 2012.
c’est la condition nécessaire d’une
indépendance critique durable.
Quelles sont vos orientations
en matière de création?
C.M. :
Je m’intéresse de plus en plus
aux apports des plasticiens à l’art
cinématographique. Hier avec Pierre
Huyghe ou Dominique Gonzalez-
Fœrster, demain avec une vidéaste
comme Clarisse Hahn – qui sort
en septembre 2012 son premier long-
métrage en salle. Je souhaite qu’
Art
Press
accompagne cette passionnante
mutation des « images mobiles »…
Propos recueillis
par Bertrand Dommergue
Pour aller plus loin :
L’Art contemporain en France :
histoire et géographie,
par Catherine Millet, Paris,
Flammarion, 2005.
© Bruno Coutier/GNO/Picturetank.