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Chroniques de la BnF – n°60 – 17

Ci-dessus Michel Le Bris à Saint-Malo, 2001.

Salon de lecture – The Call of the Wild

L’Île au trésor de Robert Louis Stevenson par Michel Le Bris

Mardi 18 octobre 2011 – 18h30-20h

Site François-Mitterrand Petit auditorium, hall Est

Chroniques : Pouvez-vous dater la naissance du roman d’aventures ?

Michel Le Bris : Elle coïncide avec celle du roman. Parce que l’aventure est l’essence même de la f iction. Quelque chose arrive à quelqu’un : c’est le point de dépar t obl igé.

­L’Odyssée est un roman d’aventures,

Don Quichotte pareillement. À la recherche du temps perdu , aussi ! Aven-ture ne signif ie pas « action fréné-tique » mais « événement ». Dans un essai intitulé Une humble remontrance , ­Stevenson a théorisé cette notion d’événement. C’est une forme qui s’impose à l’informe de la vie, se détache du fux de l’existence, avec un début et une fn, dont il nous semble pour tant que s’y trouve enclos quelque chose valant pour la vie toute entière – comme ces trois mâts enclos dans une bouteille, qui disent quelque chose encore de la mer et du vent.

Comment expliquer alors l’existence de genres romanesques, notamment du roman d’aventures si longtemps considéré comme mineur ? M.L.B. : C’est le grand jeu du gen-darme et du voleur. Le romancier étant le voleur, les «genres» les prisons

construites pour les tenir captifs. Les clercs ont fait de l’aventure un genre pour l’exclure de la « grande » litté­ rature – quand Proust et Mallarmé tenaient Stevenson pour un génie… C’est une spécificité française que cette obstination à repousser dans les marges ce qui fait l’essence du roma-nesque : rappelez-vous ces avant-gardes, dans les années 1960, qui entendaient réduire la littérature à des jeux formels par «mise entre paren-thèses du sens, du sujet, de l’histoire » et glissement du « récit d’aventures » aux « aventures du récit ».

Dans notre monde globalisé, le roman peut-il encore trouver des «événements» à raconter ? M.L.B. : Plus que jamais ! Un monde s’efface et, avec lui, nos repères les plus assurés ; un autre naît, inquié-tant, fascinant – inconnu. Quelle aventure ! Le monde qui vient est monde de f lux. D’argent, de per-sonnes, d’informations. Comme un torrent auquel rien ne paraît pouvoir résister, frontières, État, police, famille. De plus en plus de gens, pris dans ces fux, auront à articuler plu-sieurs cultures – autrement dit à ima-giner le récit personnel qui les liera en une forme ouverte. Mais comment

habiter le mouvant – si le concept est de l’ordre du stable? Par la fction! Le roman n’est-il pas cette forme ouverte, fuide, articulant des voix multiples, irréductible à une théorie ou à une idéologie, et qui pourtant nous dit quelque chose d’essentiel de nous-mêmes, de l’inconnu du monde, de l’inconnu en nous ? C’est bien pour cela que nous assistons à un formi-dable retour de la fction – où celle-ci retrouve ses pleines puissances ! À quoi tient le formidable dyna-misme du roman indien, sinon à ce que le xxi e siècle s’invente là-bas dans de terribles convulsions ? Plus que jamais, la fction a cette capacité de rendre habitable le monde incer-tain où nous sommes et de dire l’in-connu du monde qui vient, en lui donnant un visage.

Propos recueillis par Bertrand Dommergue

1. Étonnants Voyageurs à Saint-Malo, depuis 1990.

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