Page 6 - BnF- CHRONIQUES 60_b

This is a SEO version of BnF- CHRONIQUES 60_b. Click here to view full version

« Previous Page Table of Contents Next Page »

Expositions > Casanova

Au xviii e siècle, malgré les inter-dits, le jeu se pratique en France dans toutes les couches de la société. Depuis le tripot minable jusque dans les salons de Versailles. À Venise, cette passion s’affiche. Dans les casinos, habitants comme étrangers s’y adonnent avec frénésie. Le Ridotto est ouvert jour et nuit. Casanova a grandi dans cette atmosphère survoltée, et le jeu est son élément naturel. Il trace cet autoportrait de lui dans la force de l’âge : « Assez riche, pourvu par la nature d’un extérieur imposant, joueur déterminé, panier percé, grand parleur toujours tranchant, point modeste, intrépide, courant les jolies femmes, supplantant les rivaux, ne connaissant pour bonne que la compagnie qui m’amusait, je ne pouvais être que haï. » Il ne voyage pas sans plusieurs jeux de cartes et, dans les villes où il séjourne, a vite fait de retrouver ses comparses. Il préfère les jeux de hasard à ceux qui supposent calcul ou stratégie, mais c’est l’occasion qui décide. Trente-et-quarante, vingt- et-un, lansquenet, marsei l laise, ­primiera, hombre, barcarole, biribie, échecs, dames… Il joue à tout, avec

Ci-dessous

Audience accordée par le Grand Vizir Aimoli-Carac à Monsieur le Comte.

Huile sur toile de Francesco Giuseppe Casanova, frère de Giacomo, dont ce dernier chercha longtemps à dépasser la notoriété.

une ­prédilection, partagée par ses contemporains, pour le pharaon. Casanova éprouve une jouissance particulière à dépenser pour ses amantes l’argent gagné au jeu, comme si ce don de la déesse ­Fortune devait être aussitôt redistribué d’après le seul principe de plaisir.

Il croit en un lien irrationnel mais réel entre chance en amour et au jeu. À la fn de son séjour à Corfou, il attrape d’une prostituée une maladie véné-rienne qui réduit à zéro son histoire avec une belle aristocrate, Mme F. Et, dans le même élan de catastrophe, il n’arrête pas de s’endetter : « J’ai appris ce que c’était qu’un homme en gui-gnon […] Après avoir connu cette fatale créature j’ai rapidement perdu santé, argent, crédit, bonne humeur, considération, esprit, et faculté de m’expliquer, car je ne persuadais plus […] On m’évitait comme si le guignon qui m’accablait avait été épidémique ; et on avait peut-être raison. » Sa totale acceptation des décrets du hasard même lorsqu’ils sont défavo-rables est une forme d’optimisme. Sur une nouvelle mise, un changement de partenaire, la roue tourne et fait de

Les jeux de l’amour et du hasard

Aventurier de tous les plaisirs, Casanova n’a cessé de jouer sa vie au propre comme au fguré, s’en remettant au hasard avec un indéfectible optimisme. Beau joueur, le Vénitien a ainsi adopté une véritable philosophie de la chance. Une envie de vivre qui se confond avec le goût du jeu. Heureux au jeu, heureux en amour…

vous un homme heureux. Casanova est beau joueur. Il sait perdre parce que ce n’est qu’un mauvais moment à tra-verser. De passage à Pavie, en plein carnaval, il joue habillé en Pierrot. «Dans trois tailles heureuses je gagne tout ce que j’avais perdu et je poursuis avec tout ce tas d’or devant moi. Je mets une bonne poignée de sequins; je gagne la carte, je fais paroli, je gagne, je mets à la paix, et je ne vais pas en avant car la banque était aux abois. » Il quitte le jeu masqué et, dans la salle de bal, est deviné par une amie: «Vous êtes, me dit-elle, le Pierrot qui a déban-qué. J’ai confrmé par pantomime. J’ai dansé comme un démon; onme voyait toujours dans le moment de tomber et j’étais toujours debout. »

L’envie de vivre de Casanova se confond avec le goût du jeu, ses alter-nances et ses coups de théâtre. Et, lorsqu’il tente de définir une ligne d’ensemble de sa destinée, il ne voit qu’un enchaînement de hasards, dont il n’a aucunement à se sentir respon-sable. L’euphorie propre aux récits casanoviens tient à cette distance joueuse – à cette légèreté déterminée.

Chantal Thomas

Page 6 - BnF- CHRONIQUES 60_b

This is a SEO version of BnF- CHRONIQUES 60_b. Click here to view full version

« Previous Page Table of Contents Next Page »