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Chroniques de la BnF – n°60 – 7

Expositions > Casanova

Chroniques : Comment est venue l’idée de réaliser un documentaire sur Casanova? Antoine de Baecque : Je suis au départ historien du xviii e siècle et j’ai lu les écr ivains libertins des Lumières. À la parution d’ Histoire de ma vie de Casanova dans la collec-tion Bouquins, trois volumes en 1993, j’ai découvert un grand écri-vain. Quand le manuscr it a été acquis par la BnF, un réalisateur, Hopi Lebel, m’a contacté en me pro-posant de travailler avec lui, et j’ai sauté sur l’occasion : il fallait faire ce flm sur Casanova. L’idée était là, en moi, depuis longtemps et elle a pris forme à cette occasion.

Avec Hopi Lebel, nous avons voulu mont rer un aut re Casanova : la fgure du séducteur, qui l’a rendu célèbre dans le monde entier, fait aujourd’hui écran à un autre per-sonnage, plus important, celui de l’écrivain, qui en révèle un autre encore, l’homme des Lumières. Cet emboîtement des réputations est au cœur du f i lm. L’acqui ­sit ion du manuscrit d’ Histoire de ma vie a fait entrer dans le patrimoine national une œuvre qui, jusque-là, n’était connue que de manière tronquée, quasi frelatée. Entre les années 1820 et 1960, on ne connaissait de ces

Mémoires qu’un texte réécrit, traf-qué, en quelque sorte « poli » pour convenir au goût du moment, qui ne pouvait pas supporter la crudité, la sensualité de ce texte, son effores-cence, sa vivacité, comme son appé-tit de vivre. Cette liberté semblait un scandale.

Casanova est un personnage à mul-tiples facettes. Il est à la fois aventu-rier, imposteur de génie, érudit… Il s’intéresse à la phi losophie, aux mathématiques, et c’est un immense voyageur qui ne tenait pas en place. Il fut accueilli en Europe comme un pr ince, mais chassé de par tout comme un malpropre… Cette ambi-valence en fait un homme des

«Casanova est un écrivain, l’un de nos plus grands »

Antoine de Baecque, journaliste, auteur, spécialiste de l’histoire culturelle française, prépare avec Hopi Lebel un documentaire, Casanova, Histoire de ma vie, qui sera diffusé sur France 5 en novembre. Il y défend l’image d’un homme pluriel, célèbre dans toutes les cours d’Europe, et dont le style littéraire a gardé la vivacité de ses talents de conteur.

Lumières qui, parvenu à la fn de sa vie, écr it son existence pour la revivre. Il commence à écrire juste avant 1789, au moment où le monde qu’il aime, ce monde aristocratique d’Ancien régime, est en train de disparaître.

Vous vous êtes beaucoup intéressé à l’écrivain… A. de B. : Car c’est un grand écri-vain, l’un de nos plus grands. Comme il n’a été rendu à la gloire littéraire que récemment, une ving-taine d’années maximum, c’est éga-lement un jeune écrivain ! Ce qui frappe dans son écriture, c’est sa l iberté de ton. Il s’af franchit de toutes les conventions, il est iro-nique, culotté, vivant, fantaisiste, très drôle et mélancolique en même temps. Ce qui apparaît entre les lignes est un être humain plus vivant que les autres. Il s’affranchit aussi des contraintes d’un genre qui s’épa-nouit à la fn du xviii e siècle, celui des mémoires. À aucun moment, il n’est dans l’auto-justif ication ou dans le panégyrique de soi-même. Il fuit comme la peste la grandeur suf-fsante, la bêtise et le fanatisme. Ce qui rend ce texte si vivant est qu’il a été inventé oralement.

Casanova a connu deux formes de gloire : avant son succès posthume comme l iber t in séducteur, i l a d’abord côtoyé les grands de ce monde, a été reçu dans toutes les cours d’Europe car il était célèbre pour ses talents de conteur. On ­l’invitait pour qu’il raconte ses aven-tures, par exemple son évasion de la prison des Plombs, une histoire qui pouvait durer trois heures ! C’était aussi un créateur du point de vue du langage : son texte est rédigé dans une langue très libre qui porte l’empreinte de l’oral, son écriture est inventive, incluant aussi bien les italianismes que les néologismes. Cette manière de partir du creuset de l’oral et du désir qui en est la

source – écrire pour vivre –, le rend f inalement très proche de nous. Casanova est notre contemporain.

Propos recueillis par Sylvie Lisiecki

Gravure extraite de

Histoire de ma fuite des prisons de la République de Venise , qu’on appelle les Plombs, écrite à Dux en Bohème l’année 1787.

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