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– Chroniques de la BnF – n°61
Auditoriums 
>
Pour un humanisme
numérique
Une journée de rencontres au Labo de la BnF explorera les mutations qu’entraîne
le numérique dans la culture de l’écrit ou l’exercice de la démocratie. Son titre
est aussi celui du livre que vient de publier le philosophe et historien des idées
Milad Doueihi, qui en sera l’un des principaux intervenants. Entretien.
Ci-dessus
Image extraite du
site de l’association
Acces (Alliance
franco-tunisienne
des compétences
pour la culture,
l’économie
et la santé)
http://acces-asso.org
Ci-dessous
Milad Doueihi
Chroniques
: Pourquoi un
«humanisme numérique»?
MiladDoueihi:
Je voulais insister sur
la dimension culturelle du numérique.
Il est impressionnant de constater
qu’un outil technologique largement
géré par des algorithmes est devenu un
lieu de sociabilité sans précédent. Par
ailleurs, l’ubiquité intrinsèque au
numérique et la manière dont il a
pénétré assez rapidement nos pra-
tiques modifient nos rapports avec l’es-
pace. Les frontières, même imagi-
naires, entre le virtuel et le réel sont
très vite tombées, et on ne cesse de
voyager dans ce milieu hybride entre
le soi-disant virtuel et le concret. Or, si
l’humain est caractérisé par le langage,
il l’est aussi par la façon dont on habite
l’espace : les seuils, les lieux de culte,
professionnels… La culture numé-
rique a commencé comme une culture
de la chaise, du bureau; on était obligé
d’être assis à cause de la lourdeur de
la machine et des spécificités de la
connexion et du travail ; mais aujour-
d’hui on est de plus en plus mobile.
Cette évolution vers la mobilité
transforme nos rapports à des objets
culturels hérités autant qu’à des objets
que l’on est en train de créer. Marcel
Mauss disait que le statut et la position
du corps dans une civilisation déter-
minent la nature des objets culturels
qu’elle produit. Aujourd’hui, ce pas-
sage à la mobilité implique un retour
du corps avec le tactile, avec la voix…
Vous plaidez en faveur
de la naissance d’un nouvel
humanisme ?
M.D. :
Oui. La culture numérique
nous a montré, avec la constitution de
l’identité numérique, qui est comme
une polyphonie, pas nécessairement
territoriale ou généalogique, qu’on est
en train de dépasser un modèle de
l’identité. Avec les plateformes parti-
cipatives et collaboratives, nous allons
vers une transformation profonde des
modalités d’interaction entre les
citoyens et l’État. La démocratie est en
train d’être en partie redéfinie. Nous
tâtonnons autour de cette possibilité
de trouver une forme différente de
représentativité et donc de modifier
nos rapports avec la démocratie. Car
elle n’a jamais été homogène, la démo-
cratie française est différente de celle
de la Grande-Bretagne comme de
celle des États-Unis. Mais il existe
néanmoins des socles communs.
Nous assistons à l’émergence d’une
nouvelle sphère publique, qui pour
moi constitue une partie importante
de cet humanisme numérique.
Un chapitre intitulé «L’oubli
de l’oubli » est consacré
à ce que l’on pourrait appeler
une réhabilitation de l’oubli…
M. D. :
La machine ne sait pas
oublier. Elle ne peut qu’ajouter. Nous
sommes tellement fascinés par l’idée
que l’on peut tout garder que nous
négligeons cela. La technique ne peut
accueillir l’oubli comme une forme
productive de la pensée. L’oubli reste
l’impensable de la technique. Or l’ou-
bli est essentiel, au plan individuel
comme au plan collectif.
Propos recueillis par Sylvie Lisiecki
«Avec les plateformes
participatives
et collaboratives,
nous allons vers une
transformation profonde
des modalités d’interaction
entre les citoyens et l’État.
La démocratie est en train
d’être en partie redéfinie.
Nous tâtonnons
autour de cette possibilité
de trouver une forme
différente de représentativité
et donc de modifier
nos rapports
avec la démocratie. »
© P
pale.