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Chroniques de la BnF – n°61 –
19
Auditoriums 
>
Ci-dessus
Page du
livre de conduite
d’
Intermezzo,
comédie en trois
actes de Jean
Giraudoux, mise
en scène de
Louis Jouvet, 1933
Quand se termine la représen-
tation, le spectacle disparaît à
jamais. C’est la nature même de la per-
formance. Elle ne laisse que des traces,
tantôt minces – un article de presse ou
une photographie –, tantôt multiples –
textes, images, plans, objets… Il suffit
parfois au spectateur de retrouver son
billet pour que l’instant passé revive;
il faut souvent au chercheur toutes les
archives pour l’analyser. Afin de frayer
un chemin dans ce patrimoine abon-
dant, polymorphe et singulier, le cycle
La Fabrique du spectacle
propose six
rendez-vous autour des principaux
artisans de cette œuvre éphémère et
des traces documentaires que chacun
a laissées dans les collections du
département des Arts du spectacle.
L’auteur
ouvre la route. Son texte
partage le sort commun des œuvres
littéraires, mais il est caractérisé par
le rapport spécif ique de l’écriture
dramatique avec le plateau. Les indi-
cations scéniques et la distribution
du texte entre les voix apparaissent
dans la mise en page et en font une
invitation immédiate à la mise en
scène. Du
xvii
e
siècle à nos jours, de
Molière à Beckett, livres et manus-
crits reflètent les évolutions de cette
dynamique page/planches.
Le costumier
apporte une esquisse
qui ne trouve sa concrétisation que
dans la fabrication du costume. De
même
le scénographe
et les décors.
Au fil des siècles, l’art de la maquette
n’a pas fondamentalement varié. Peu
de costumiers sont passés aux techno-
logies numériques. En revanche, la
diversité des styles est grande, du des-
sin raffiné du
xviii
e
à la touche aqua-
rellée de Christian Bérard ou à la ful-
gurance d’André Masson.
Lemetteur en scène
choisit et réunit
ces matériaux textuels et matériels
pour créer, avec les acteurs, le spec-
tacle. L’histoire du théâtre a fait naître
la fonction avec André Antoine. Mais
les documents trahissent l’existence
d’un travail de mise en scène bien
avant. Paris publiait au
xix
e
siècle des
relevés pour la province. Ces notes de
mise en scène, parce qu’elles font la
synthèse des intentions et des partis
pris, sont des mines, qu’elles soient de
la main de Jouvet ou de Mnouchkine.
Du comédien
les traces sont plus
ténues. La pratique de son art est inti-
mement liée au temps de la représen-
tation. Ce qui se dit de son parcours
dans les biographies se réduit souvent
à l’anecdote. Il faut se plonger dans les
traités de déclamation ou les cours,
comme ceux de Jouvet, ou traquer les
brochures annotées, scruter les photo-
graphies, visionner les captations pour
s’approcher de l’art de l’acteur.
Le photographe
et, plus générale-
ment, l’image jouent un rôle essentiel
dans la mémoire du spectacle. Le cri
d’Hélène Weigel dans
Mère Courage
par Roger Pic, ou la silhouette de
Gérard Philipe dans
Le Cid
par Agnès
Varda sont les jalons et les emblèmes
de l’aventure du théâtre de l’après-
guerre. À chaque photographe son
regard et sa technique, qui font de son
travail un témoignage et, pour les
meilleurs, une œuvre d’art.
Le spectateur
est à côté de la fabrique
du spectacle; il n’est pas admis dans la
coulisse. Doit-il d’ailleurs souhaiter
passer derrière le rideau au risque de
rompre le charme? Il serait cependant
aberrant de ne pas faire sa place au
public. Celui qui laisse le plus de traces
est sans conteste le journaliste, dont les
critiques éclairent contemporains et
historiens. Il ne doit pas faire oublier
les anonymes qui remplissent les salles
soir après soir et dont on conserve par-
fois les lettres enflammées ou les por-
traits. Ils racontent à leur manière une
histoire du théâtre, « le théâtre de ceux
qui voient
*
».
Joël Huthwohl
* En référence au magnifique
Le théâtre de ceux
qui voient
de Ito Josué, Michel Guinle, 1994.
La fabrique du spectacle:
de l’auteur au spectateur
Auteur, metteur en scène, scénographe, comédien… les «acteurs » d’un spectacle jouent tous un rôle essentiel
dans le déroulement d’une représentation. Sans oublier le spectateur, sans lequel le spectacle n’existerait pas.
Ils ont tous laissé des traces, abondantes ou furtives, qui font l’objet d’un nouveau cycle à la BnF, site Richelieu.
BnF, Arts du spectacle.