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– Chroniques de la BnF – n°61
Il est facile de me rappeler l’âge
de Babar parce que j’avais cinq
ans lorsqu’il est entré dans ma vie.
Alors il a toujours cinq ans de moins
que moi. Je suis dans ce monde depuis
quatre-vingt-cinq ans, Babar quatre-
vingts ans. Incroyable de penser que
la série est si vieille, et moi si vieux !
J’étais un tout petit garçon, et mon
frère Mathieu onze mois plus jeune,
lorsque ma mère nous a raconté l’his-
toire d’un petit éléphant qui s’échappe
de la jungle et court vers une ville
semblable à Paris, où il devient très
sophistiqué. Quand il retourne dans
la jungle, il devient le roi des élé-
phants. Mon père Jean lui donne le
nom de Babar et dessine un album
pour nous avec de belles couleurs.
Le livre est publié – un succès immé-
diat – et mon père crée six autres
albums avec une ville pour les élé-
phants, qu’il appelle Célesteville, et
une famille pour Babar. Célesteville
semble tout de suite un lieu où beau-
coup aimeraient vivre: bien organisée,
donnant à chaque citoyen un espace
pour son talent et son énergie. Tous
travaillent bien mais s’amusent bien
aussi. Célesteville est comme une uto-
pie. Bien sûr il y avait des problèmes.
Les méchants rhinos étaient encore
une menace. Des accidents pouvaient
arriver même dans ce paradis : un
Ci-dessus
Laurent de Brunhoff,
illustration extraite
du
Château de Babar,
1961
Ci-dessous, à gauche
Cécile, Jean,
Laurent et Mathieu
de Brunhoff en 1924
Ci-dessous
Jean de Brunhoff,
Le Voyage de Babar
1932, dessin inédit
incendie, un serpent. Mais à Céleste-
ville, les choses tournent toujours
bien. Dans le monde réel nous n’avons
pas été aussi heureux. Mon père est
mort de la tuberculose à
37
ans, juste
avant le début de la Seconde Guerre
mondiale. J’avais
12
ans, Mathieu
11
ans, et mon jeune frère Thierry
3
ans. Notre mère avait
34
ans. Nous
avons passé la guerre sous sa bonne
main. À la fin j’étais donc un jeune
homme. Suivant les cours d’une aca-
démie d’art, je commençai une car-
rière de peintre à Montparnasse. En
même temps je m’amusais à dessiner
des Babar, et c’est alors que j’ai fait un
nouvel album, aussi proche que pos-
sible du style de mon père, comme
pour le garder en vie et rester proche
du monde de mon enfance.
Célesteville, une société idéale
Beaucoup à ce moment n’ont pas réa-
lisé que le créateur de Babar était mort
et que son fils avait pris la suite. Il y a
eu bien sûr beaucoup de changements
dans le monde depuis que la série a
commencé. Babar a toujours été excité
par les nouvelles technologies. Dans le
premier livre de mon père, il s’amuse
tellement dans un ascenseur qu’il faut
lui dire que ce n’est pas un jouet.
Maintenant il peut
skyper
. On a des
ordinateurs à Célesteville! Les chan-
gements culturels sont aussi remar-
quables. Les albums de mon père ont
été créés dans les années
1930
, au
sommet de l’empire colonial français.
Il y a maintenant une sensibilité au
racisme que je partage. Je me sens
embarrassé par quelques anciennes
pages que j’ai faites moi-même.
Même si beaucoup de choses ont
changé en quatre-vingts ans
,
je ne
pense pas que l’apparence des livres
en général ait changé, ni leur esprit
fondamental. Cet esprit met en
valeur une société en paix, dans
laquelle tous sont égaux et protégés.
Excentricités et bizarreries sont tolé-
rées. L’harmonie est naturelle. Les
jeunes enfants sont toujours les
mêmes, qu’ils jouent avec des jouets
en bois ou avec des i-Pads. Je crois
que les parents élevant des jeunes
enfants entrent dans un monde sans
temps, et bien des générations ont
éprouvé ce sentiment à Célesteville,
celui du monde sans danger, parfait,
de la petite enfance. Et je pense que
c’est pour cela que Babar continue.
Laurent de Brunhoff
Publication :
Les Histoires de Babar
dirigé par Dorothée Charles
co-éd. Les arts décoratifs/BnF
35 euros
Babar,
toujours
jeune à 80 ans
Grâce au don des enfants de Jean de Brunhoff,
on peut découvrir à la BnF les dessins originaux
de trois albums de
Babar
. Laurent, fils de Jean
et continuateur de la série, nous raconte
une histoire dont le succès ne se dément pas.
Van Hamel Family Archives, Amsterdam.
TM & © Nelvana.
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