Dossier > Trois questions à Bruno Racine, président de la BnF Le manuscrit des Mémoires de Casanova, les archives de Roland Barthes et maintenant celles de Michel Foucault… Sous votre impulsion, des acquisitions très remarquables ont été faites par la BnF ces dernières années. En quoi de tels enrichissements sont-ils à vos yeux une priorité ? À l’ère du numérique, et donc d’un accès potentiellement sans limites aux œuvres, la conservation des originaux est un enjeu majeur – car dans sa matérialité l’objet est irremplaçable. La quête de ces « trésors nationaux » est en outre, d’un point de vue plus personnel, l’une des facettes les plus exaltantes de ma mission. Au bout du compte, c’est l’acquis le plus durable auquel je puisse contribuer et, comme on l’a vu par exemple avec l’entrée dans nos collections des manuscrits de Casanova, c’est une source de rayonnement incomparable pour l’institution. Y a-t-il un écrivain contemporain dont vous souhaitez particulièrement qu’il dépose ses archives à la BnF ? Plusieurs le font déjà et je leur en suis très reconnaissant. Je pense en particulier à Annie Ernaux, Pierre Guyotat et Olivier Rolin, et je ne voudrais pas donner le sentiment que je fais pression sur certains de mes amis en citant leurs noms. Toutefois, pour vous donner un exemple proche de nous qui me tiendrait à cœur, je serais très heureux que les archives d’Antonio Tabucchi, disparu hélas en mars 2012, puissent entrer à la BnF. Il représente le lien entre l’Italie, le Portugal et la France, et symbolise à mes yeux le meilleur d’une authentique culture européenne. Vous êtes vous-même écrivain. Quel sens aurait pour vous le fait de déposer vos archives à la Bibliothèque ? J’ai déjà commencé à le faire. C’est pour moi un honneur et un devoir. Les archives vivantes de Pierre Guyotat La BnF collecte les archives d’écrivains vivants. En 2004, Pierre Guyotat a fait don de ses manuscrits et de certains documents audiovisuels. Il continue de confier ses archives à la Bibliothèque, courrier électronique compris. Guillaume Fau, le conservateur chargé du fonds, et Pierre Guyotat répondent à nos questions. Ci-contre Pierre Guyotat et Guillaume Fau au département des Manuscrits, en 2004 Chroniques : Quelles ont été les circonstances de ce don ? Guillaume Fau : J’ai fait la connaissance de Pierre Guyotat en 2004, à la BnF, au moment où il a fait don de ses archives au département des Manuscrits. Monique Cohen, alors directrice du département, m’avait demandé d’assurer la responsabilité du fonds : j’ai accepté avec enthousiasme, très impressionné par l’œuvre et son auteur. Notre première rencontre s’est déroulée dans la salle Rothschild du département des Manuscrits, où nous avions organisé pour Pierre Guyotat une présentation de quelques-uns des trésors issus de nos collections : nous avons feuilleté le manuscrit des Pensées de Pascal, celui des Liaisons dangereuses, les fragments d’Une Saison en enfer, Voyage au bout de la nuit… Ce fut un moment très émouvant qui a permis de nouer le contact. Puis, assez vite, il a été question de recueillir les archives électroniques de Pierre Guyotat. En effet, il n’écrit presque plus qu’à l’ordi nateur ou dicte ses textes. Comment cela se passe-t-il concrètement ? G. F. : Depuis quelques années, une fois par mois environ, je vais chez Pierre Guyotat et je transfère les fichiers sur clé USB pour archivage à la BnF. J’en fais aussi un tirage papier de sécurité. Cela représente aujourd’hui un ensemble très volumineux de textes en cours, régulièrement enrichi. Tout récemment, avec Matthieu Bonicel, responsable de la mission informatique et numérisation au département des Manuscrits, nous sommes allés récupérer la correspondance électronique de Pierre Guyotat. Les données ont été transférées directement depuis son ordinateur et de son iPhone sur une clé USB, puis archivées à la Bibliothèque. Nous avons ainsi sauvegardé quelque 3 500 courriels de sa correspondance électronique, ainsi que près de 2 600 textos depuis 2009. C’est une première au département des Manuscrits ! Il s’agit d’une correspondance à part entière, à la fois privée et professionnelle, avec ses amis, ses éditeurs, ses traducteurs… C’est tout cet ensemble qui constitue aujourd’hui le fonds Pierre Guyotat, au côté des grands manuscrits de Tombeau pour cinq cent mille soldats, Éden, Éden, Éden ou Progénitures, et des enregistrements de spectacles, lectures et improvisations qui ont été numérisés par le département de l’Audiovisuel. Pierre Guyotat, pourquoi avez-vous souhaité que la BnF conserve vos textos et vos courriels ? Pierre Guyotat : Écrire, c’est, en partie du moins, « conserver » sa pensée : en somme, une activité … Chroniques de la BnF – n°65 – 23 Photo David Paul Carr/BnF