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Charlotte Delbo, écrivain de la mémoire
En 2012, Claudine Riera-Collet a donné au département des Arts du spectacle les archives dont Charlotte Delbo (1913-1985), femme de théâtre, résistante déportée et écrivain, lui avait confié la garde. Correspondance, manuscrits, notes de mise en scène, dossiers administratifs et photographies tracent le portrait d’un destin hors du commun.
Ces archives s’ouvrent sur un livret de famille : née en 1913 à V i g neu x- su r - Sei ne, C h a rlot te Delbo, sténographe, épouse en 1936 Georges Dudach, militant communiste. Elle l’a rencontré à Paris sur les bancs de l’université ouvrière, que fréquente aussi le sociologue Henri Lefebvre. Avec Georges, Charlotte Delbo collabore aux Cahiers de la jeunesse, revue dirigée par Paul Nizan. C’est le « hasard » des choix éditoriaux des Cahiers qui lui fait rencontrer Louis Jouvet en 1937 pour un entretien. À l’issue de leur rencontre, l’acteur lui propose de devenir sa secrétaire au Théâtre de l’Athénée, dont il est alors le directeur. Elle prendra désormais en note les cours qu’il donne au Conservatoire, découvrira avec lui l’Électre de Jean Giraudoux. Au début de la Deuxième Guerre mondiale, Charlotte Delbo suit la troupe de l’Athénée en Amérique latine, mais choisit de revenir à Paris en 1941 pour rejoindre son mari et entrer à ses côtés dans le réseau clandestin Politzer. La Résistance s’organise et diff use ses premiers journaux, La Pensée libre et Les Lettres françaises d’Aragon. Charlotte tape les textes, Georges se charge de leur diff usion. Auschwitz, le « terrible voyage » Arrêté le 2 mars 1942, le couple est interné à la prison de la Santé. Georges Dudach sera fusillé en mai 1942, et Charlotte Delbo sera déportée le 24 janvier 1943, avec 230 Françaises, au camp d’Auschwitz-Birkenau, puis à Ravensbrück jusqu’à sa libération, en avril 1945. « Je ne veux pas vous raconter ce long et terrible voyage que j’ai fait, ni vous expliquer maintenant les raisons qui m’ont obligée à vous quitter à Rio. […] Non. Je veux vous dire pourquoi je reviens », écrit-elle à Louis Jouvet le 17 mai 1945. Si, en mai 1945, il est trop tôt pour le « dire », ce « terrible voyage » se lit déjà dans les faits que consignent des a rch ives ad m i n ist rat ives : liste des colis reçus au fort de Romainville, liste des biens confi squés à Auschwitz, carte de rapatriement. Un an plus tard, le silence se brise. Avec le récit de sa libération tout d’abord, que Charlotte Delbo publie en mai 1946 dans Le Journal de Genève et qui dit le retour : « La terre était belle d’être retrouvée. Belle et triste à jamais. » Écrire pour « porter à la conscience » Jérôme Lindon est le premier à qui elle confie ses textes. Aux éditions de Minuit paraissent en 1961 Les Belles Lettres sur la guerre d’Algérie, puis, en 1965, Le Convoi du 24 janvier, hommage aux 230 femmes déportées avec elle. Suivront Aucun de nous ne reviendra – écrit dès 1946 mais publié vingt ans plus tard, Une connaissance inutile et Mémoires de nos jours, qui ensemble forment la trilogie Auschwitz et après. De manuscrit en tapuscrit, Charlotte Delbo transforme Auschwitz en littérature pour « porter à la connaissance, porter à la conscience ». Elle entend aussi donner à voir et, en 1973, traduit l’univers concentrationnaire au théâtre avec Qui rapportera ces paroles ? C’est pour le théâtre encore qu’elle écrit Une scène jouée dans la mémoire, où elle retrace les derniers instants passés avec Georges avant son exécution. Inscrit sur un petit carnet noir, le manuscrit de Spectres, mes compagnons (1977) constitue l’ultime lettre de Charlotte Delbo à Louis Jouvet, celle où elle pourra enfi n lui « raconter ».
Mileva Stupar
Ci-dessous
Carte de membre de Charlotte Delbo de la Fédération nationale des déportés et internés patriotes (FNDIP), 1946
BnF, Manuscrits.
20 – Chroniques de la BnF – no 66